Tu regardes l’heure avec anxiété. Dans à peine moins de cinquante minutes, il va te falloir aller à la gare, afin de réceptionner Adair et Jacob. Cela fait quelque temps que tu n’as pas croisé l’infirmier ce qui fait de cette visite un événement encore plus attendu de ta part.



Le sourire aux lèvres, tu t’approches de ta fiancée, heureux que votre couple avance dans la bonne direction. Une autre raison à ton humeur est l’accueil de la nouvelle par Riya, cette dernière ayant accepté avec enthousiasme de recevoir tes anciens collègues, après avoir demandé confirmation que le Major était bien le médecin dont tu avais parlé plusieurs fois.

A ce souvenir, tu ne peux t’empêcher de sourire en coin. Il y a tellement de personnes avec les mêmes grades, et ce dernier change régulièrement au cours du temps pour une seule personne, donc forcément ça devient compliqué pour une personne extérieure de suivre, déjà que ce n’est pas aisé quand on est dans le milieu.



Te voilà donc au fourneau, à peler, épépiner et concasser des tomates, pendant que le reste du repas est en train d’être préparé. Le dessert, déjà au réfrigérateur, n’est plus une préoccupation, c’est déjà ça.

Une fois l’aide apportée, tu vas te préparer, te faire un tant soit peu présentable pour tes invités. Ceci fait, le temps du départ se fait imminent et tu es presque prêt à partir. Il ne te manque plus qu’à choisir une canne avant de sortir, sans manteau au vu des températures confortables de ce début d’après-midi.

Ton choix se porte donc sur une canne en bois de pommier, au corps torsadé. Son pommeau est une extension métallique, allongée et gravée de symboles abstraits.

Dehors, tu marches sans te presser, sachant avoir tout le temps que tu veux. Le pas sûr et détendu, ton trajet se déroule sans accrocs jusqu’à ce que la porte de la gare se présente à toi. Quelle sensation inhabituelle de se trouver à cet endroit, décontracté, sans avoir ne serait-ce que la moindre intention de monter dans un train, cela t’arrache un nouveau sourire, qui se perd cependant lorsque tu entres pour voir que l’horaire d’arrivée du train de dix-huit heures est en train de se faire effacer par un employé de la gare.



Alerté de ton approche par le bruit de ta canne, l’homme se retourne calmement après avoir essuyé la craie de ses mains.



Avec un hochement de tête, tu le laisse à ses occupations et va donc t’asseoir. Si le retard n’est pas long, pas besoin de prévenir Riya. Cela entre dans les perturbations habituelles.

Une demi-heure plus tard, tu commences tout de même à t’impatienter. Marc est revenu deux fois changer l’horaire de tous les trains et son humeur semble se dégrader, il ne serait donc pas de bon ton de passer tes nerfs sur lui. Lorsqu’il sort à nouveau, cependant, tu l'approches encore.



Après son hochement de tête soulagé, tu rentres chez toi et préviens ta compagne du contretemps puis reviens, ton manteau sur les épaule désormais, car la soirée te semble partir sur de mauvaises bases.

De retour, bien évidemment, tu vois Marc à nouveau en train d’effacer son tableau et te contente de lui annoncer ton retour avant de t’asseoir sur un des bancs.

La grande horloge sonne sont huitième coup, désormais, et le pauvre hère à simplement arrêté de noter un horaire estimé pour l’arrivée des trains. Vu que tu es le seul à encore attendre, il vient te l’annoncer directement à chaque fois. De ton côté, afin de faire passer sa peine un peu plus agréablement, tu lui as cédé la flasque qui ne quitte habituellement pas la poche intérieure de ton manteau. Lorsque la pluie a commencé à tomber et contrairement à la plupart des règlements, le jeune homme t’a invité à l’intérieur de sa guérite afin de te protéger un minimum.

Un bruit, finalement, attire votre attention. Il s’agit d’un bruit aigu que tu reconnais presque aussi vite que lui, car cela vient des rails, qui créent une sonorité caractéristique en vibrant à l’approche d’un train. Sans surprise, la locomotive finit par se faire entendre à son tour, avant d’apparaître au loin.

Une fois les deux personnes attendues sorties, Marc t’abandonne pour aller voir le conducteur du train. Tu approches alors d’Adair et Jacob, ta canne en main pour ne pas trahir ton approche. Jacob est en train de râler, comme à son habitude, et cette fois sa cible n’est autre que toi, en accord avec ce que tu espérais.



Calme et souriant, tel est l’apparence selon laquelle ils peuvent te voir. Tu ne leur en veux pas pour le retard, cela serait puéril, mais sans avoir compris cette partie de la conversation tu ne peux le leur assurer.



Tu viendrais de faire un trait d’humour douteux, vraiment ? Quelle surprise venant de ta part…

Les deux retardataires ne manquent aucunement de se retourner, en entendant cette voix familière. La surprise n’apparaît cependant pas sur leur visage, malgré l’arrivée discrète de leur hôte, malheureusement pour toi.

Ils savent, bien entendu, la raison de ta canne et l’absence de réelle blessure à ta cuisse. Ils savent, par conséquent, que tu peux te déplacer discrètement lorsque tu en as envie. Ils connaissent, finalement, les rouages de ton esprit et cela te contraint à te satisfaire de ce peu de réaction de leur part.

Tu secoues la tête, au même moment où l’infirmier secoue son parapluie, à sa réponse plus que raisonnable. Sur ta lancée, cependant, tu a parlé en même temps que lui lorsqu’il a continué sa réponse pour faire ton trait d’humour.

Sans un mot, alors que la doctoresse te répond, tu récupère l’une des valises pour éviter à Jacob de porter l’ensemble.




Tu prends la route, alors, guidant tes amis sous la pluie battante, ton seul manteau pour te protéger des intempéries. Ce n’est qu’après avoir commencé à marcher que tu te tournes finalement vers Jacob, répondant enfin à son information.



Tu portes ta canne avec la valise, pour ne pas qu’elle s’embourbe, pendant la durée du trajet.

Tu vois Riyla, toujours écarlate d’embarras, prendre sa posture professionnelle. Elle le fait discrètement, cette posture ne change que légèrement de ses manières usuelles, mais cela ne t’échappes pas vu que vous partagez désormais cette maison de manière régulière.



Elle lance un regard en coin à Levak, une moue taquine au visage.



Elle s’apprête à ouvrir la bouche, son visage adouci et les couleurs de ce dernier revenues à la normale, mais écoute à la place Jacob qui s’excuse à son tour. Une écoute attentive qui cesse à l’interruption de l’infirmier, effectuée par nul autre que lui-même.



Alors qu’elle parle, avant de commencer à indiquer les directions avec des mouvements, ta fiancée amène trois doigts à son cœur. De ton côté, les bras tendus vers vos invités, tu attends simplement qu’ils y déposent leurs manteaux.



Un sourire t’échappes alors que tu remarques là une occasion de rendre à la belle la monnaie de sa pièce. Tes bras se chargent de la paire de pardessus pendant ce temps.



Quelques minutes plus tard, vous êtes tous les quatre devant le feu, dégustant votre boisson respective.

Face aux réponses et à la courtoisie de leurs invités, ces derniers se pliant se plier volontiers aux demandes de ta fiancée, tu te permet un léger sourire. Ici, en ta demeure, tu peux te permettre de laisser tomber tous les masques.

Riyla disparaît tellement vite, après les réponses de leurs invités, que la proposition de Jacob d’entamer la boisson qu’il vient d’apporter ne parviens à l’atteindre. Tu récupère donc la bouteille qui encombre encore un peu plus tes bras avec les pardessus, puis adresse un sourire à l’infirmier.

— On va devoir le goûter au second verre.

Cette phrase, pour commencer, pourrait sembler surprenante à ton amie vu que tu t’es toujours, jusqu’à présent, tenu à un unique verre aux apéritifs où rassemblements tels que celui-ci. Cela peut aussi, bien entendu, être attribué au fait que tu sois chez toi et, par conséquent, ne te retienne en réalité pas de boire plus par politesse.

Après avoir guidé les deux autres, ainsi que posé leurs manteaux, tu peux finalement sortir le contenant de son emballage et hoche la tête avec curiosité. Cette marque t’es inconnue. Tu ne le mentionne cependant pas, ayant déjà annoncé que vous la goûterez plus tard dans la soirée, et retournes finalement à la première question que tu avais prévue alors même que Riyla reviens avec quatre verres, contenant deux boissons. Un nouveau sourire, plus franc, apparaît sur ton visage alors que tu comprends que chacun de vous quatre va boire la même boisson que l’autre personne du même sexe.

Pendant que les verres arrivent dans les mains des personnes concernées, tu écoutes attentivement la réponse de ton amie, puis te prépare à réagir à la mention de la perception du temps.

Riyla t’en empêche sans un regard, répondant à la question qui vient de lui être posée avant que tu ne puisse prendre réellement la parole sans qu’elle ne puisse ensuite avoir l’occasion de satisfaire la curiosité d’Adair. Tu ne peux lui en vouloir, après tout, vu que tu lui a déjà bien assez souvent fait le coup. Pourtant, un simple regard te sers à comprendre qu’elle a procédé à cette interruption plus par habitude que par véritable volonté. Ce n’est qu’un simple détail, invisible à qui ne la connaît pas, mais elle semble déjà regretter cette action.



Une réponse rapide, fermée, qui peut envoyer le message qu’elle ne souhaite pas tellement en parler. En même temps, tu connais ses parents, tu connais sa relation avec eux. Ce sont de simples fermiers, comme le village en a tant, bourrus, francs et ayant assez mal pris l’idée que leur fille n’ait pas décidée de continuer la lignée. De plus, tu te doutes qu’ils ne t’apprécient pas beaucoup, leur fils aîné, celui dont ils avaient prévu qu’il reprendrait la ferme après son service, n’est jamais revenu de Fotsett. Cet évènement est tellement récent, dans leur esprit, qu’ils ne peuvent regarder un militaire autrement qu’avec dédain.



Avant de prendre ta gorgée de whisky, tu lance un coup d’œil à celui de Jacob et te rend compte d’un oubli.