Il était temps d’acheter des vêtements. C’était un fait, et ton très cher Liam te l’avait rappelé dans la matinée, quand il te fit un topo pour une mission qu’il ne pouvait pas accomplir sans ta discrétion et ton physique : ta cible allait bientôt sortir de son antre et, si tu voulais pouvoir l’atteindre, dans un milieu où l’on ne te suspecterait pas, il fallait que tu garnisses un peu plus ta garde-robe. Le sang, en soi, n’était un souci que lorsque tu tardais trop de temps à le laver ou qu’il y en avait beaucoup, mais, ce qui faisait le plus souffrir tes vêtements étaient les coupures, accrocs, les déchirures, les taches de vin et celles de gras.
Tu avais beau soigner tes tenues préférées, tôt ou tard, tu ne pouvais que les jeter.
C’est pour ça que tu préférais porter des vêtements spéciaux pour la plupart des missions – surtout, si elles impliquaient l’infiltration, la surveillance ou le meurtre. Hélas, zigouiller des porcs friqués et paranoïaques requérait ta présence dans des milieux où tu ne pouvais pas porter un simple qipao ou une tenue d’assassin.

Étant un peu juste de temps, puisque tu n’avais rien trouvé qui retienne ton attention dans tes magasins habituels, tu optas pour aller visiter celui qui se trouvait dans ta rue, à quelques pâtés de ta boutique. D’après tes souvenirs, ça devait être toujours ouvert, ils ne fermaient que vers 18h – tu avais encore une heure, plus ou moins. C’était un endroit qui avait une bonne réputation et qui était là depuis peu avant que tu ne t’installes le quartier, mais tu ne t’étais pas informée et tu espérais qu’on voudrait bien te prendre, même si tu n’avais pas fait de réservations ni passé commande via catalogue.
En fait, tu ne savais même pas comment fonctionnait ce magasin, mais, si tu y trouvais ton bonheur, tu étais prête à payer le prix fort. Pensant à ceci, sans pour autant avoir un genre de robe ou de tenue en tête, tu poussas la porte et y entras d’un pas assuré, mais relativement silencieux. Tu balayas les lieux du regard, refermant la porte derrière toi, tout en rajustant tes gants.

— Bonsoir, monsieur. Prenez-vous des clients sans rendez-vous ? demandas-tu poliment, mais chaleureusement, après un court silence, avant d’esquisser un léger sourire.

Le propriétaire de la boutique était un jeunot – mignon, qui plus est –, qui ne t’avait pas fait attendre ; même si tes yeux hétérochromes ne quittèrent pas son visage, tu ne manquas point de le détailler, et, plus précisément, ses mains - qui disent beaucoup de nous aux regards avisés.
Sa boutique semblait plutôt bien organisée et il vendrait du prêt-à-porter, en plus d’avoir un atelier pour faire du sur-mesure. L’endroit te paraissait déjà plus intéressant et rafraîchissant que tes boutiques habituelles, et c’était à deux pas de chez toi – pratique et tout bénef !

— Ravie de faire votre connaissance, M. Mary. Je m’appelle Angela von Rosenthal et je suis la propriétaire du Crimson Camelia – nous sommes voisins de rue. J’ai malheur de devoir assister à une soirée mondaine à laquelle on m’a prévenue en dernière minute. J’ai conscience que commander une robe pour après-demain n’est probablement pas possible, voire très juste, mais je me demandais si vous avez des tenues adaptées pour l’occasion ou si vous auriez le temps d’en modifier une. commenças-tu, en toute politesse. Tu préservas ton sourire, même si on pouvait lire un semblant d’agacement dans ton regard – ça te faisait chier, c’était évident. Bien entendu, la robe pour la soirée ne serait pas un achat unique : j’aurai besoin de garnir ma garde-robe. Je ne suis pas pressée, mais, si vous acceptez ma commande, je prendrai autant des tenues que des ensembles – voire, des accessoires, s’ils entrent dans votre ligne de confection. expliquas-tu, étant aussi claire et concise que possible. Tu ne voulais pas t’étaler, ni vous faire perdre inutilement du temps – d’autant plus, qu’il allait fermer dans moins d’une heure. Avez-vous des robes légères, avec un décolleté plongeant ou les épaules découvertes ? Préférablement en noir, rouge, bleu ou vert.

Tu adressas un petit geste de main au styliste quand il mentionna un possible supplément, lui faisant silencieusement comprendre que ce n’était pas un problème. Il semblait avoir saisi ce que tu voulais et les robes qu’on te proposa étaient très proches de l’idée que tu avais en tête.
Celle qui avait le dos très découvert te plaisait énormément et on put voir une lueur d’intérêt pétiller dans ton regard hétérochrome, avant que le souvenir de tes cicatrices traverse ton esprit. Tu plissas un peu tes lèvres, jaugeant le tissu, la couleur et la coupe. Tu aimais le fait qu’elle ait une grande ouverture sur les côtés, parce que ça te permettrait de courir et de bouger librement, si jamais tu devais entrer en combat.
Gardant ta capeline sous l’un de tes bras, tu te permis de pincer légèrement l’ouverture du dos, à plusieurs endroits, comme un tailleur aurait fait pour imaginer une idée qu’il avait en tête. Tu essayas de trois façons différentes, y compris en fermant un peu plus le dos, jusqu’en dessous des poumons.

— J’adore cette robe. C’est presque un péché de la retoucher, mais elle est très ouverte sur le dos. Si vous pouviez faire ceci et ajouter des lacets discrets, à mode de corsetage, sans une couleur semblable à celle des pans de la jupe, ça m’arrangerait. Pas de cordons en peau ou synthétiques, en matière végétale – soie, coton, lin ou laine douce, peu importe - ou métallique, à la rigueur. fis-tu, cette fois-ci, sans t’étaler. Vendez-vous des trousses ou y a-t-il moyen de modifier une pochette, afin que je puisse l’attacher autour d’une de mes cuisses ? Ce n’est pas grave si elle est masculine, ce sera plus discret.

Le styliste n’avait pas des pochettes en stock, mais il disait pouvoir t’en confectionner une assez rapidement. De même, il avait des châles légers et chauds, en laine, ce qui te répondait à tes besoins. Tu étais ravie d’avoir opté pour venir dans cette boutique et, même si tu n’étais pas du genre à regretter, tu te disais que tu aurais mieux fait de tenter le coup, ici, dès le départ – tu aurais perdu bien moins de temps et ce pauvre bougre n’aurait pas été pris à court par ta commande.
En soi, seulement la tenue pour la soirée pressait, tu n’allais pas lui demander plus. Les autres tenues pouvaient attendre, mais tu auras besoin de quelques-unes pour le mois et en avant. Même si tu n’avais pas flâné dans son magasin, tu avais vu des tenues qui te plaisaient, donc tu allais sûrement en prendre une ou deux de plus et laisser un acompte pour ta commande.

— Ah~ Voilà quelque chose de plaisant à entendre. Je vous fais confiance pour accorder le châle avec la robe, mais l’idéal serait qu’il soit sombre. répondis-tu, sans perdre le sourire. Tu n’aimais pas qu’on t’emmerde quand la fermeture approchait et tu étais venue passer une commande importante en dernière minute. Tu ne pouvais que comprendre que ça devait le faire chier, même s’il était commercial et poli envers toi. Je peux vous apporter une trousse dépourvue de sangle, si vous voulez, pour fabriquer ladite pochette cuissarde. J’en ai quelques-unes qui pourraient être utilisées et vous épargner quelques détours. continuas-tu, marquant une courte pause, avant de dénicher ta montre à gousset à l’intérieur de ta robe, d’entre tes seins. La montre était en or et avait du vécu. Elle était très ancienne, mais finement travaillée – des ronces et des roses en relief ornaient le couvercle - et d’un charme atemporel – indéniablement, elle était chère. Hmm… Je ne vous tiendrai pas longtemps la jambe. J’aimerais prendre une ou deux autres tenues, pour le quotidien. Nul besoin de les personnaliser ou les modifier, certaines ont retenu mon attention. Si vous avez un catalogue, je suis également preneuse. Je peux vous payer ce que j’emporterai, aujourd’hui, le châle, les accessoires et un acompte pour la tenue dont nous avons discuté. Je passerai un autre jour, à des heures plus prudentes, pour passer une commande plus signifiante.