Une filière différente

La même silhouette assise sur un banc depuis quelques heures. Un constat qui avait fini par questionner de la jeune femme alors qu’elle regardait par le fenêtre de son bureau. Les bras croisés, elle se demandait bien ce que la personne attendait dans le froid de l’hiver. Son regard clair finit par se relever à l’approche de Jacob, l’infirmier qui la secondait. Lui aussi l’avait remarqué et n’en était pas moins perplexe. Cependant, sa voix finit par rompre le silence de la pièce, presque sonnante :

- Ce n’est pas l’un de nos patients en tout cas, aucun ne manque à l’appel. Je reviens tout juste de ma ronde.

Une affirmation qui intrigua davantage le médecin. Abandonnant sa tasse à café à moitié vide, elle s’enveloppa dans son manteau pour aller à la rencontre de l’individu en question alors que c’était l’heure de sa pause. Une initiative qui fit soupirer silencieusement le trentenaire avant qu’il ne la suive.

Toutefois lorsqu’ils descendirent pour s’approcher, Jacob s’arrêta quelques mètres avant pour rester en retrait. Il profita d’être dehors pour allumer une cigarette, tout en gardant un regard discret sur elle. Avec sa tête maussade, il était certain que l’infirmier allait compliquer le contact plus qu’autre chose en connaissance de cause…  

C’est donc seule qu’Adair s’avança pour aller à sa rencontre, mais avec une certaine précaution ne voulant ni le surprendre, ni le faire fuir, ni lui reprocher quoique ce soit. La soignante cherchait simplement à comprendre ce qu’il pouvait bien attendre.

- Navrée de vous déranger monsieur, mais il me semble que vous attendiez quelqu’un. Un patient peut-être ? Demanda-t-elle avec un sourire léger, mais pas moins cordial tout en observant son interlocuteur. Si c’est le cas, je peux vous aider. Autrement vous risquez d'attraper froid à force de l'attendre…

Bien qu’elle avait son manteau, l’ensemble de sa tenue indiquait qu’elle travaillait dans l’armée, même si son appartenance à l’hôpital pouvait ne pas être notable de suite. Cependant, il n’était pas bien difficile de faire le lien entre elle et le bâtiment de derrière.

Une filière différente

Le médecin le considéra un moment tout en écoutant sa justification. Un client qui lui avait visiblement faux bond et dont il n’avait nul nom. A l’entendre, elle doutait assez de son histoire, ainsi que de sa naïveté. D’autant plus que la jeune femme, ainsi que la personne qui se trouvait en retrait à fumer, avait noté qu’il n’avait pas bougé de son banc depuis un certain temps. Elle n’était donc pas méfiante pour rien.

La suite la surprit un peu. Ce dernier semblait à peine déçu d’avoir été laissé pour compte qu’il lui tendit sa carte. Machinalement elle prit cette dernière pour la regarder recto-verso avant de hausser un sourcil.

- Je n’ai entendu personne cherchant à vous trouver. Fit-elle savoir légèrement perplexe.

Elle regarda en biais Jacob, un trentenaire de haute stature au visage marqué par deux balafres symétriques. Il laissa échapper un dernière pan de fumée avant de la rejoindre et écrasa sa cigarette sur l'accoudoir du banc. Celui-ci semblait avoir écouté puisqu’il lui prit doucement la carte des mains pour regarder à son tour.

- Styliste ? Hmm… C’est toujours utile j’imagine d’avoir une adresse. Il me semble que tu avais besoin d’une nouvelle robe pour une soirée, non ? Demanda l’infirmier songeur à cette dernière. Mais je me demande toutefois qui peut bien être l’imbécile qui vous a fait venir sans avoir fait l’effort de mentionner son nom. Souligna-t-il un peu inquisiteur en fixant Robin.

Adair eut un léger rictus à sa première remarque, se rappelant de l'incident qu'elle avait eu avec sa robe, avant de répondre :

- Certes, c’est peut-être intéressant. Accorda-t-elle. Ses yeux clairs regardèrent un instant le démarcheur, se demandant s'il était bien sérieux. De quelle côté votre boutique est installée ? Si elle n’est pas loin, j’irai peut-être faire un tour après le travail.

Une filière différente

Adair était plus ou moins convaincue par sa justification, mais ne chercha pas à le comprendre davantage, voyant là une impasse se profiler. La psyché humain avait parfois des mécanismes obscurs qui nécessitait autre chose qu'un esprit des plus cartésiens.

Son regard croisa une fois encore celui de l'infirmier qui lui tendit la carte pour qu'elle la reprenne avant d'écouter plus amplement les indications sur la situation de la boutique. Centrale était après tout la capitale, de surcroît la plus grande ville du pays, et la jeune femme ne pouvait pas forcément connaître toutes les boulevards, avenues, rues et ruelles sur les bouts des doigts. Quelques précisions était donc la bienvenue, surtout qu'elle n'avait pas forcément le temps de chercher le lieu en question plus que nécessaire.

Après quoi le couturier semblait être lancé et lui présenta des ébauches de ses idées qu'il avait pu avoir. Quelque chose qui donnait un peu plus de matières à réfléchir. La soignante n'était pas une férue de mode et se contentait de vêtements sobres et classiques par commodité. Les quelques dessins lui permirent de se projeter un peu plus sur ce qu'il proposait plus concrètement. Silencieusement elle parcourut l'ensemble, tandis que Jacob en faisait de même en regardant par dessus son épaule, tiquant parfois quand le style était des plus évocateurs. C'est que ce dernier voyait mal le médecin affublée de telles tenues.

- Je cherche une robe élégante. Longue dans les tons marine, bordeaux ou forêt. Pas de noir. D'une belle étoffe. Une veste ajustée qui irait avec l'ensemble, dans les mêmes tons donc, pour les soirées fraîches... Si vous avez ça ou avez des suggestions en accord avec mes souhaits, je pourrais voir pour en acheter un ensemble. Fit-elle en lui redonnant son carnet.

L'infirmier eut un air de satisfaction en l'entendant. Il connaissait ses goûts et ne fut pas surpris de sa demande.